Les Troubles du pays qui suivirent les réformes centralisatrices musclées de Jean Conrad de Reinach révélèrent aux princes-évêques la faiblesse de leur appareil répressif face à la menace intérieure. Devant la révolte de ses sujets (ceux-là mêmes qui alimentaient habituellement le corps des milices), le prince se vit contraint de faire appel à son puissant voisin, le roi de France, pour rétablir l'ordre et punir les paysans rebelles emmenés par Pierre Péquignat.
La levée, en 1744, d'une compagnie puis, en 1758, d'un régiment capitulé au service de la France prend alors tout son sens. Outre la fierté de posséder, à l'instar des cantons helvétiques (particulièrement du grand voisin bernois), un régiment "suisse" au service de Sa Majesté Très Chrétienne, le prince-évêque disposait enfin d'une force armée (plus de mille hommes) capable de réprimer les désordres intérieurs en cas de besoin. En temps de paix en effet, un des deux bataillons devait tenir garnison, en alternance, sur les terres de l'Evêché (art. 13 de la capitulation du 24 février 1758). Ce ne fut pas le cas dans les faits mais cela explique peut-être pourquoi le régiment stationna souvent dans les villes de garnison alsaciennes (une région déjà très militarisée), dont la proximité avec le pays favorisa d'ailleurs la désertion. Outre des avantages économiques et politiques, la levée du régiment permettait également au prince de regrouper ses nombreux sujets mercenaires dans un seul corps, sur lequel il pouvait exercer un contrôle strict, notamment par le biais de la Chambre des recrues établie au château de Porrentruy. Le recrutement - non autorisé - pour le service d'autres puissances s'en trouva fortement entravé.
Les faits d'armes du régiment
Ce corps, composé aux deux tiers de sujets du prince (qui trouvaient là un débouché bienvenu), prit le nom de ses colonels successifs: Eptingue, Schönau, Reinach. Il participa aux campagnes d'Allemagne (1760-1762) de la guerre de Sept Ans, effectuant son baptême du feu à la bataille de Corbach. Une fois les hostilités terminées, le régiment séjourna dans les villes de garnison traditionnelles, sur les frontières d'Alsace et du Nord. Même si la toute récente capitulation précisait que le régiment ne devait pas être embarqué sur mer, en 1768, les hommes d'Eptingue partirent pour la Corse, que la France venait d'acheter aux Gênois et qu'elle entendait bien soumettre. Après quelques revers, les armées françaises (environ vingt-cinq mille hommes) s'imposèrent l'année suivante, obligeant Paoli, le chef corse, à s'expatrier; quant à Bonaparte, il naîtrait français... L'épopée corse coûta au régiment plus de cent morts, les épidémies tuant davantage que les combats. Dix ans plus tard, l'insalubrité des marais de Charente allait emporter quatre cents hommes d'Eptingue cantonnés à Rochefort, "cimetière du régiment" selon l'expression du mémorial. Comme les autres corps helvétiques, le régiment des princes-évêques de Bâle fut licencié en septembre 1792, à Dunkerque, quelques semaines après la prise des Tuileries (10 août). Certains hommes rejoignirent l'armée des princes, d'autres s'engagèrent dans les armées françaises, d'autres encore regagnèrent leur pays, traversant par petits groupes discrets la France révolutionnaire.
Auteur·trice du texte original: Damien Bregnard, 11/03/2005
Dernière modification: 18/09/2007
Fonds d’archives
Archives de l'Ancien Evêché de Bâle (AAEB), B 241a/1-33.
Bibliographie
Damien Bregnard, Le parcours du combattant. Le régiment de l'Evêché de Bâle au service de France lors de la campagne de Corse (1768-1770), Neuchâtel, 1997.
Damien Bregnard, "L'organisation militaire de la principauté épiscopale sous l'Ancien Régime", dans Le régiment d'infanterie 9 entre dans l'histoire (1912-2003), Saint-Imier, 2003, pp. 5-9.
Casimir Folletête, Le régiment de l'Evêché de Bâle au service de France 1758-1792, Lausanne, 1939 (2e éd.).
Suggestion de citation
Damien Bregnard, «Eptingue (régiment d')», Dictionnaire du Jura (DIJU), https://diju.ch/f/notices/detail/467-eptingue-regiment-d, consulté le 07/11/2024.